Biblioteca Gonzalo de Berceo Mosaico de los hermanos Atienza realizado en 1961 en la iglesia del Monasterio de Valvanera en La Rioja

 

«Mon ambition n'est donc absolument pas (... ) de faire le point, ambition qui dépasse nos moyens, mais de préciser quels peuventêtre les problemes, d'en laisser soupçonner la complexité, l'enchevêtrement, et de suggérer, avec les pistes ou le chercheur devrà s'engager, les pre'cautions qu'il lui faudrà pendre pour s'àairer et pour interprêten».

       E. R. LABANDE, in «Eléments d'une enquete sur les conditions de déplacement du pelerin aux Xe et XIe siècles», contribution à Pellegrinaggi e culto dei Santi in Europà fino alla la Crociatta, Atti del IV Convegno di studi sulla spiritualità medievale, Todi, Academià Tudertina, 1963.

      Il serait paradoxal de vouloir présenter dans ce Colloque une série de réflexions définitives que I'on se doit de réserver, si I'on veut précisement sauvegarder I'originalité de ce genre de rencontre, aux pages d'une revue dont le role est de publier les résultats des investigations. C'est la raison pour laquelle je voudrais proposer ici une série de réflexions pràiminaires à un travail que je mène actuellement sur les réseaux sémantiques de la spiritualité et de la socialité dans le «mester de clerecia».

Il ne s'agit plus d'isoler les écrits de Berceo, comme dans mà précédente étude sur von vocabulaire1 , mais de les inscrire dans une trajectoire qui, du Libro de Alexandre, passe par le Libro de Apolonio, transite par Berceo et aboutit au Libro de Buen Amor, venant buter commme sur un contrepoint contre le Libro de Miserià de Omne qui marque en quelque sorte I'aboutissement du «mester de clerecía»,

Cette approche prétend pour cela à I'utilisation de plusieurs modes de compréhension et à un mouvement de I'un à I'autre destiné a' combiner les interprétations et à dépasser la simple recherche de faits soit Iinguistiques, soit historiques, soit artistiques, soit stylistiques ... , dimensions certes nécessaires mais non suffisantes si elles restent considérées isolément, Tout en effet me parait solidaire, qu'il s'agisse du matériel, de I'économique, de I'écologique, du politique, de L'idéologique, ne serait-ce que parce que I'homme en société est un tout, à la fois politique, économique et mental, vers lequel convergent le mental collectif et la civilisation matérielle2.

 

Admetre cet aspect synthétique des différentes strates, de leurs articulations et évolutions, c'est aussi reconnaître la diversité de I'analyse à mener, qui demande de scruter Ies mouvements de toutes les formes et celui de chacune, et leurs interactions. Autant dire que I'étude se trouve ainsi placée au confluent de plusieurs disciplines (histoire, sociologie, Iinguistique ... ) et doit, sans y perdré de son indépendance, en utiliser les apports. D'où la nécessité d'une analyse indirecte, à mener avec beaucoup de prudence car la réalité est toujours floue, en I'occurrence celle d'une époque assez lointaine pour nous abuser par des concepts créés par et pour elle ou par ceux que le monde moderne peut forger afin de I'analyser.

Actuellement, des discussions tournent autour des procédés d'utilisation des méthodes modernes automatiques por dépouiller systématiquement la totalité du corpus médiéval et traiter ensuite les listes obtenues. Je veux ici souscrire aux entreprises de Manuel Alvar Ezquerrà à Málaga3, tout comme à celle de Lloyd Kasten et de son équipe à Madison (USA)4, autant qu'à la réalisation du dernier volume des «Obras completas» de Berceo préparé par Brian Dutton5. Dans tous ces cas, comme dans le projet de René Pellen à Poitiers6, il est évident que I'on peut obtenir des résultats plus surs en moins de tempos et au prix d'efforts moindres en utilisant des moyens informatiques que I'on aurà pris la peine de mettre soigneusement au point afin qu'ils offrent en outre I'avantage de permettre des comparaisons sur de vastes échelles. Le propos lexicographique qui permet de noter les apparitions, disparitions et évolutions de sens est alors dépassé. D'où le projet que sommeille encore -et qui, espérons- Ie, finira bien par se réveiller- de la réalisation d'une sorte de Trésor de la Langue Espagnole.

Reste que si I'informatique permet des tris simples et croisés, des comptages rapides et précis et I'évaluation exacte de certains criteres individuels et collectifs, bref d'affiner I'étude aussi bien qualitative que quantitative de certains documents, les résultats peuvent varie selon les buts poursuivis. En particulier, si la méthode du «full-text» parait préférable pour le traitement de nos textes en machine, le respect du texte ne serà assuré que si elle se fonde sur des éditions le moins fautives possible. Or, si I'on peut se fàiciter d'avoir des éditions satisfaisantes de Berceo ou du Libro de Apolonio7, bien du travail reste à accomplir pour d'autres oeuvres.

De plus, s'intéresser au contenu implique de dépasser le simple comptage et la réalisation des index pour s'intéresser au contexte8. Le mot n'est intéressant que dans son discours et ce discours n'existe que par les multiples àéments qui le forment, parmi lesquels certains n'apparaissent pas de prime abord dans le texte (présupposés, sous-entendus ... ). Cette. remarque amene donc à mettre au point des procédés qui, généralement, isolent des mots-póles dont iI faut étudier les voisinages, calculer les fréquences et autres coefficients de proximité, bref, il s'agit alors de construire un lexicogramme, et surtout de l'interprêter9.

Devant la double constatation des difficultés théoriques de I'analyse, rendue plus ardue encore par les moyens techniques réduits dont on dispose pour la mener dans la plupart des cas, et mème hypothéquée par les résultats voisins auxquels aboutissent des démarches moins àaborées, il est permis de s'interroger sur la validité globale de ces entrepises. Non certes que les résultats en soient négligeables -nous avons souligné leurs mérites- mais les méthodes, compte-tenu de I'insuffisance de I'assistance, paraissent parfois trop ambitieuses.

En l'état actuel des recherches, devant la diversité des questions qui se posent (variété orthographique, énormité des masses à traiter, àaboration des méthodes à partir de concepts modernes plus ou moins adadptés au corpus ... ) et faute d'avoir les moyens de les résoudre de maniere satisfaisante, il faut savoir limiter ses ambitions, rechercher I'efficacité avant I'exhaustivité, bref imaginer des solutions particulieres, mais toujours rigoureuses.

Ainsi, au-dela des mots et des choses, il faut s'attacher à I'examen des conditions de possibilité et de production des discours. De la sorte, on dégagera la spécificité culturelle de la situation de communication et I'organisation du langage du «mester de clerecía». Sans prétendre à la transparence du discours ni à son isomorphisme social, on doit chercher à travers son opacité variable ce que le langage veut dire devantage que ce qu'il dit.

 

      J'envisagerai ici successivement deux aspects de mes réflexions actuelles. D'abord, en montrant à grands traits comment une- analyse cinématique, fondée sur une périodisation, peut permettre de saisir les mouvements d'ensemble des compositions du «mester de clerecia». Ensuite, en analysant rapidement la notion de réseau sémantique pour souligner les services que I'on peut attendre de l´utilisation de ses qualités opératoires.

 

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Dans le vaste champ d'enquete que représente le Moyen Age espagnol, I'espace réduit. que je dàimite en isolant le langage du «mester de clerecía» ne me semble ni trop limité ni trop large. Ce même caractére de relativement limité et de relativement vaste à la fois conduit à choisir -limites techniques et limites de bon sens obligent- les deux réseux sémantiques de la spiritualité et de la socialité, qui recouvrent I'essentiel du champ social.

Il faut dés lors s'entendre sur les mots de spiritualité et de socialité, si I'on veut esquisser une terminologie (opé)rationnelle selon les périodes auxquelles ils s'appliquent. Pour ce faire, dans les limites flottantes du Moyen Age10 , il convient surtout de préciser I'extension des termes. Je choisis dàibérément des définitions de départ simples, afin de pouvoir les modifier, les enrichir ou les nuancer au fur et à mesure des progrés de I'analyse.

La spiritualité, mot emprunté au latin, «spiritualitas», apparait au Xllléme siécle (I'adjectif «espirital» vers 1140 selon Corominas11 précédant le substantif) et renvoie à un ensemble de formes particuliéres -croyances, exercices- qui concernent la vie spirituelle, celle de I'ame, voire le mysticisme religieux. Cette vie spirituelle, aspiration aux valeurs morales, est I'émanation et le reflet d'un principe supérieur divin représenté, dans le cas qui nous occupe, par la religion catholique.

La socialité est également un type de rapports, non plus entre I'homme et la divinité, mais entre I'homme et ses semblables. Mot que I'on doit au XVlléme siécle (1665 en France mais curieusement 1917 pour «social» en Espagne selon Corominas), il évoque les relations entre les personnes qui forment les àéments de la réalité sociale, des plus simples aux plus complexes. Mais il serait dangereux d'en conclure que les rapports de la spirituálité sont de type vertical et ceux de la socialité de type horizontal, car il existe des tentatives ou des apparences d'horizontalité dans la spiritualité de même que I'on rencontre des structures verticales dans la hiérarchie sociale.

Plus prudent est de constater simplement que la spiritualité est une qualité, puis une condition qui est celle de gens, quel que soit leur état dans la société, tandis que la socialité n'est pas indifférente selon le genre de société considéré. On peut également constater que si le Moyen Age connait la spiritualité dans laquelle il baigne, il ignore totalement la socialité. A cela plusieurs raisons. D'abord, c'est que la société est, au moins jusqu'au XIVéme siécle, partie intégrante de l'Eglise, par un effet de I'augustinisme politique. De ce fait, la socialité médiévale est inscrite, écrite, dite dans et par la spiritualité qui informe et englobe tout. Certes, ce qui se situait alors sous le concept moderne de ce que le XXéme siécle nomme même sociabilité manifestait parfois qu'il pouvait, voulait ou essayait de résister, de s'opposer ou d'échapper à la spiritualité12

Mais d'autre part, cette derniere, maniée par les clercs, s'efforcait de récupérer pour mieux englober (par exemple en défendant faibles et pauvres13 ). De plus, il existe au Moyen Age un modèle ordonné oú les relations importent finalement assez peu. La socialité est I'attitude commune à tous les chrétiens (ceux qui ne le sont pas étant exclus d'une maniere ou d'une autre), la collaboration temporelle aux fins spirituelles de l'Eglise. Elle est de ce fait irréductible à un cadre politique donné.

En outre, spiritualité et socialité, mots qui définissent des rapports, entretiennent aussi des rapports entre eux. Leur examen éclaire la question de la religion et des relations sociales, en d'autres termes les liens humains et divins, vus par les hommes, pensés par des hommes -les clercs- dans une structure d'accueil- le «mester de clerecia»- elle même produit de ces relations des hommes entre eux et avec Dieu, et màange, à I'image de la réalité humaine qui concentre au-dela et ici-bas en une présence contradictoire et simultanée.

L'étude doit donc permettre de dégager des modeles culturels, des chemins qui conduisent aux mentalités, aux représentations sociales, économiques et politiques de la réalité dú Moyen Age. Elle doit aussi montrer si la socialité diffusée par la spiritualité est en retrait sur la pratique sociale réelle (ou si elle est exceptionnellement en avance). Mais I'analyse montrera peut-être que la spiritualité est curieusement influencée par la socialité issue des courants de la réalité sociale, et en relatif désaccord avec les principes de la religion (comme I'exemple de la conception bercéenne d'une Vierge omnipotente peut le suggérer). Les phénoménes spirituels informent, peut-etre, moins que les incidences quotidiennes de détail (économiques, politiques et sociales).

Mais examiner la spiritualité et la socialité dans le langage du «mester de clerecía» ne signifie pas seulement porter attention à quelques grandes oeuvres. Cela requiert aussi  de ne pas ignorer ce que pouvaient être celles qui ont disparu et celles de ceux qui n'appartenaient pas au «mester de clerecia» comme les jongleurs ou comme d'autres catégories ou strates sociales plus ou moins clairement constituées. Spi­ritualité et socia(bi)lité sont celles de tous, et pas seulement du «mester de clerecía».

En effet, le métier de clergie est la résultante des courants divers de la spiritualité et de la socialité de ce Moyen Age, et en même temps, à I'intérieur de la clergie s'expriment ces courants sous des formes autres. Ne pas prendre I'une pour I'autre, mais aussi ne pas croire que I'une est le simple reflet de I'autre, bref ne jamais oublier à quelle strate de I'expression I'on se trouve, voilà, la regle qu'il faut respecter sous peine de prende la proie pour I'ombre.

Il ne saurait être question d'envisager ici I'ensemble des relations complexes que I'image de la société qui apparait dans la littérature (et dans d'autres domaines) entretient avec la réalité englobante dont elle est issue. On conviendra simplement que ces relations sont multiples, que ce soit avec les couches dominantes qui commandent la société, avec les groupes restreints qui la mettent au point et avec ceux qui la réalisent littérairement. On conviendrà aussi que la Iittérature qui nous occupe est à la fois expression, reflet et camouflage de la société réelle, miroir plus ou moins déformant tendu par les groupes sociaux qui le fabriquent selon leurs désirs, leurs sensibilités et leurs intérêts.

Il faut cepedant exposer une définition opératoire du «mester de clerecía», C'est­a-dire sans reprendre la distinction entre jongleurs et clercs qui se fonde sur les différences thématiques et stylistiques. Je considere pour mà part qu'une analyse fondée sur une périodisation fait rapidement apparaître que le «mester de clerecía» semble être une réaction contre certains aspects de la «juglaría» jugés incorrects et inacceptables. Réaction de gens de lettres qui se trouvaient être alors les clercs, le mot désignant dans son ambigüité aussi bien les gens cultivés que ceux d'Eglise, ce qui revenait souvent au même.

Mais on sait également que les deux métiers ne sont pas antagonistes et que la «clerecía» exprimée par le canal de la «cuadernà vía» est, selon le mot de F. López Estrada, «un art du compromis»14. Notre propos ne sera donc pas d'offrir une classification de plus des jongleurs et des clercs mais d'examiner la dialectique de leurs rapports, à la lumiere des évolutions du Moyen Age en Espagne. D'oú les questions: d'oú vient le «mester de clerecía»? Quelles sont les forces qui le portent? Comment sont-elles organisées? Quelles formes prennent leurs productions? En outre, dans la mesure oú tout témoignage de culture en est aussi un de barbarie, quelles sont les conséquences de la vague de didactisme clérical? Qu'en est-il des phénomènes de désindividualisation et d'acculturation? Enfin, à partir des conditions de production des oeuvres, que peut-on savoir des situations sociales, culturelles et mentales?

Sans prétendre icí répondre exhaustivement à ces interrogations, on peut schématiser et dire qu'un besoin nouveau, issu des structures sociales et politiques, à dûpousser à la distinction des jongleurs et des clercs. Ces derniers n'ont pas, en s'affirmant, le seul souci d'affaiblir le puissant courant de la jonglerie, de s'en démarquer (en admettant toutefois les jongleurs pieux et historiens), tout en conservant I'héritage et en récupérant au passage le danger qu'il pouvait représenter. En fait, les clercs décrivent et expliquent la situatíon d'une société nouvelle qui affirme sa propagande en isolant certains jongleus («cazurros») visés par les reproches de l'Eglise, et en valorisant le rôle de certains compositeurs (les «trovadores épicos» dans le Siete Partidas d'Alphonse X) manifestement liés aux couches dominantes de la chevalerie.

On à coutume de penser que vers la fin du Xllleme siècle (la date partique de 1275 étant avancée pour être celle de la Supplique de Guiraut Riquier et de la réponse d'Alphonse X), la jonglerie à accepté de faire la part du Feu et d'exclure le grossier pour que le reste soit toléré, voire admis par una société cléricaIisée et féodalisée15 • Il s'agit en effet alors d'entrer dans de schémas sociaux relativement complexes, issus de la division du travail et de la différenciation des structures économiques et sociales. Si le découpage tripartite est toujours présent, la structure sociale se construit davantage en fonction de I'état, de la profession, et le métier devient mérite.

En fait, le reclassement (tout relatif et éphémère, sans compter qu'il est le fait du pouvoir en place) proposé aux jongleurs en 1275 et leur admission s'ils se cantonnent dans I'épopée ou I'hagiographie est une triple reconnaissance: celle de leur statut social, celle de leur métier et cellede laur valeur intellectuelle. Ils sont d'ailleurs, quantitativement et par leur popularité, un àément dominant (dont le classement est   d'ailleurs une maniere de (dàlimiter I'importance) et ce sont les clercs qui, bien que donateurs d'un systéme16 , sont les marginaux minoritaires17 .

Ils ont cependant en commun, dans un monde aux forces (économiques, démographiques ... ) tres mouvantes, de combattre sous la même banniére de la culture. Ils sont des intellectuels en train d'eftectuer leur percée, parallàement à la percés des «Iaboratores», éphémere, sur le front social. La réaction des clercs qui se sont dotés d'un statut culturel est donc non seulement Iittéraire, mais aussi économique. Ce n'est en effet pas un hasard s'ils se manifestent précisément en même temps que I'essor économique et commercial, parfois même avant comme des incitateurs. C'est justement cet essor économique qui sous-tend le «mester de clerecia», la clergie récupérant également le travail de la bourgeoisie naissante tout en conservant des relations privilégiées avec la chevalerie pour assurer la position de l'Eglise au sommet de I'édifice social.

       En effet, l'Eglise diffuse un systeme idéologique trifonctionnel destiné à la servir16 . Elle présente son projet de société en un véritable discours politique qui propose un cadre mental selon lequel répartir idéalement I'humanité. Chargés sur la terre d'aider le Christ, certains hommes ont un ministere, un «mester», «de clerecia» par exemple. Ils ont charge par leur parole de défendre la bonne société18 , autoritaire et hiérarchisée, présentant l´inégalite comme une donnée nécessaire et inàuctable et répandant ce message dans Ia langue des humbles19

Mais ce message, que l´on trouve au centre des relations entre les réseaux de la spiritualité et de la socialité, n'est pas immuable. Il évolue lentement avant d'affleurer à la conscience humaine selon la diversité des situations. C'est tout I'intérêt de suivre les variations de l'Alexandre à l'Apolonio, de Berceo à Juan Ruiz et au Libro de Miserià de Omne.

En effet, sans entrer de maniere détaillée dans les questions des dates et des paternités des oeuvres considérées, il est capital de considérer que I'Apolonio, l'Alexandre et les écrits de Berceo appartiennent tous au Xllléme siècle, et que tous comportent des caractéristiques particulieres qui leur conferent un certain rythme (que je laisse à d'autres, plus experts que moi en la matiére -et je pense en I'espéce aux travaux actuels de Isabel Uríà Maquà - le soin d'analyser). Or, ce rythme volontairement recherché est selon moi le résultat et I'expression d'une structure interne au langage et à la mentalité de I'époque et des auteurs. Au XIVéme siécle, des caractéristiques rythmiques différentes à I'intérieur du même moule de la «cuaderna vía» du «mester de clerecía» incitent à poursuivre I'analyse de cette hypothése.

Alors que l'Alexandre (que nous imaginerons rédigé vers 1240-1250), l'Apolonio (qui me parait plutót de la seconde moitié du Xllléme siécle) et les oeuvres de Berceo (dont la chronologie est fixée entre 1236 et 1264-68?) centrées sur le monastére de San Millán de la Cogolla, obéissent à de strictes combinaisons syllabiques, il est patent qu'avec le temps et les changements qu'il apporte, la «clerecía» s'ouvre à des nouveautés et que sà structure évolue, à mon avis parallàement aux évolutions sociales, économiques et mentales générales et particuliéres. De fait, au moins de maniére thématique, on ne peut que reconnaitre le schéma des concurrences de I'environnement d'alors dés le Xllléme siécle avec, aprés un Alexandre plutôt chevaleresque, I'affirmation, en réaction, de la supériorité de l'Eglise incarnée par la tradition émilienne chez Berceo, elle-même concurrencée alors par I'ouverture au monde (à la ville et aux bourgeois) que représente I'aventure humaine (et non plus typique) d'Apolonio. Toutes proyections d'autres gens et de ceux-Ià même s qui les conçurrent à cette époque.

Pour ce qui concerne le seul Xllléme siécle, on peut dire que l'Eglise fait figure de forteresse menacée par les multiples formes que prend l´hérésie, dérangée par les progrés de la connaissance, profondément ébranlée par la modification des fondements sociaux consécutive à I'apport de richesse de I'essor économique. De la un véritable examen de conscience et de reconversion. Edifiée sur un idéal que I'on peut qualifier de monastique ou de roman, pour une société peu mobile composée d'une masse de paysans et de quelques guerriers, elle doit impérativernent s'adapter aux nouvelles aspirations et aux nouvelles relations des groupes sociaux. D'oú sa réaction et sa réorganisation, en particulier sous le pontificat d'lnnocent III, commencé en 1198 alors que Berceo vient de naître20 .

C'est dire que les productions que nous avons à analyser s'inscrivent dans ce mouvement et d'abord dans la nouvelle tactique en vigueur: dégager la place. Considérant que I'attaque est la meilleure défense, l'Eglise lance la croisade, à I'extérieur contre I'infidàe et à I'intérieur contre I'hérétique. Voilà qui lui permet de récupérer en même temps une chevalerie montante aux appétits de pouvoir grandissants et de I'assujétir à une entreprise placée sous le suprême commandement de Dieu. Pour faire place nette, il s'agit également d'évacuer les parasites, d'exclure les etres viciés, donc peccamineux (on cantonne les lépreux dans les léproseries par exemple, on àoigneles fous) ou d'en marquer d'autres d'un signe d'exclusion (c'est le cas pour les juifs). En se donnant cette impulsion, I'idéologie cléricale se renforce, en particulier de façon parallàe à I'idéologie chevaleresque.

Pour ce qui concerne par exemple Berceo, fai exposé ailleurs17 comment il apparait plutôt anti-maures, anti-romains, anti-juifs, anti-fous et anti-malades, s'inscrivant dans le mouvement de la Reconquête, croyante, catholique et cléricale qui lutte contre les envahisseurs, les incroyants, les assassins du Christ ef les pécheurs. De maniére différente, le Libro de Alexandre va dans le même sens, exposant les vertus du parfait chevalier mais sans oublier de préciser les mérites de la clergie sans laquelle le meilleur roi n'est rien.

Cette nouvelle tactique cléricale se propose de traquer le péché et d'en libérer les laics égarés dans le monde, au besoin par des moyens violents. l'Eglise, qui détient seule les clefs de la vérité et se charge de la répandre par la parole, opte pour un néo-évangàisme fait de pauvreté et de dépouillement. Façon d'atteindre les humbles et de s'associer à eux pour les défendre, mais aussi de récupérer leur souffrance. Façon aussi  d'atteindre un public de masse et de lui enseigner son plaidoyer «pro dogmo». Les clercs ne sont-ils pas ces «oratores», ceux qui prient et ceux qui prêchent, capables par leur formation intellectuelle accrue en dépit de I'hétérogéneité de leur instruction (mais il faut noter les progrés de I'intellectualisation de l'Eglise) de diffuser la bonne parole, et aussi au chevalier qui domine les paysans. Façon habile d'affirmer la suprématie du spirituel sur le temporel. Nouveau style.

Et nouvelle stratégie, celle de I'échiquier. En même temps qu'elle àabore un tamis au grillage serré pour analyser la société devenue plus complexe, l'Eglise tisse un solide quadrillage de paroisses. Sous I'autorité des évêques, les prêtres deviennent les rouages essentiels chargés de surveiller les fidàes et les pratiques, de ramener à I'espéce de stabilité antérieure la masse de ceux qui servent par leur labeur. En même temps, ils sont la pour capter les dons et contribuer à un nouveau comportement économique de l'Eglise, soucieuse de s'affirmer à la tête d'une société qui prend son àan sur la voie d'un progrés continu20 Soucieuse aussi de conserver cette place en masquant les luttes sociales .

 Elle émet donc dans le cadre de cette stratégie un modàe de comportement que la clergie est chargée de transmettre. Ce phénoméne est particuliérement sensible dans I'inconographie, dans la volonté de produire des images sensibles destinées au «vulgum pecus». Ainsi affirme-t-elle la personnalité des saints ou, mieux encore, du Christ, Dieu fait homme et Roi des rois, Seigneur-suzerain d'un univers de vassaux. Ainsi fait-elle découvrir I'amour marial, mouvement simultané à la découverte de I'amour courtois dont il est cependant distinct, précisément dans la mesure ou il sert à l'Eglise pour capter de nouveaux courants de sensibilité (par exemple sublimer I'érotisme charnell pour les détourner vers la liturgie.

Le Xllléme siécle est ainsi fait de cet acheminement vers une nouvelle religiosité, que d'aucuns qualifient de gothique, clamant le salut et la victoire à travers le théme de la Passion, ce qui n'empêche nullement, au contraire, la survivance ou I'affirmation d'àéments que I'on qualifie aujourd'hui de populaires21.

 

       Mais des résistances montent et s'affirment, donnant naissance à une peur sociale que l'Eglise croit combattre en maudissant la révolte. Vers le XIVeme siècle, les forces rétives, que I'on sent confusément monter dans la période précédente, s'agitent22 . La croissance économique ne se ralentit pas mais elle déplace, sous I'effet de la crise démographique (accentuée par les épidémies) et de la consolidation des noyaus urbains. En outre, les agitations internes, I'absence de progrés techniques et des conditions climatiques défavorables23 entrainent une hausse des prix qui accroit I'écart entre les fortunes24Même dans la société rurale, le fossé s'àargit entre les riches et les pauvres, toujours' vistimes du mode de production seigneurial. Il en résulte une modification de la géographie de la prospérité et une concentration des fortunes individuelles qui và permettre I'éclosion de nouveautés et unà certaine vulgarisation culturelle, souvent parée d'une laicisation.

Ces traits deviennent sensibles dans le Libro de Buen Amor. On assiste à des transformations de la texture sociàle. Apres les rapprochements du clerc et du peuple décrits précédemment, on releve les rapprochements du bourgeois et du peuple d'une part, autour de la ville, du clerc et du chevalier d'autre part, à la campagne. Transformation de la sensibilité sociale aussi qui àabore un art de vivre (I'espece d'optimisme du Libro de Buen Amor) et un art de mourir (le pessimisme du Libro de Miserià de Omne). Il ne reste plus qu'à observer I'arrivée des relais de l'Eglise, chevaliers et marchands, pour s'engager vers la Renaissance.

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L'observation de ces évolutions devra être menée à partir des données d'un champ conceptuel et tout en tenant compte des rapports économiques, sociaux, politiques et philosophiques dans I'elaboration des procédures linguistiques, en établissant des relations entre les faits linguistiques et les détails de I'organisation sociale, en allant et en venant pour relier représentations collectives et conduites personnelles à l`état de la société, en accédant par I'individu au domaine social. Il faut maintenant imaginer des solutions sous peine d'attendre trop longtemps un miracle. Ainsi en est-il de deux tentatives, I'une fondée sur des mécanismes traditionnels pour examiner une spiritualité (la spiritualité franciscaine en Artois à travers "homàiaire de Jean Vitrier étudiée par André Godin25 ), I'autre actuellement en cours à la charge de Georges Matoré se proposant d'envisager le langage et les moeurs du Moyen Age selon une approche plus originale de la socialité26.

Lorsque I'on considere lá complexité de la communauté linguistique, à la fois «vaisseau sur la mer» (Saussure) et «véritable tour de Babel» (Mounin), il faut se résoudre à avancer prudemment et simplement pour aborder notre tâche.

      Il convient d'abord de se demander ce qu'est un réseau sémantique. Sans refaire ici une histoire de la linguistique et de la sémantique que I'on peut suivre aisément depuis Bréal et Meillet jusqu'à Malmberg en passant par Ullmann et Guiraud27 , je me contenterai de dégager un certain nombre d'aspects utiles à mon propos et d'estimer leur valeur opératoire.

La distinction saussurienne entre langue et parole dégage une facette sociale et une facette individuelle dans la question linguistique, les faits de parole de la langue formant le discours. Des lors, les conditions dans lesquelles le discours est produit caractérisent et constituent ce même discours. Etant une pratique, le discours Peut et doit donc faire I'objet de remarques touchant aux circonstances de sa production, c'est-a-dire extralinguistiques.

D'où un accroissement de la complexité de la question déjà morphologique et sémantique (Bally, Ipsen, Porzing, Guiraud ... ), historico-littéraire et stylistique (Trier... ), sociale et historique (Matoré ... ), psychologique ou psychanalytique (Sperber ... ), logique (Belin-Milleron) ... Reste toutefois une même attitude commune devant le fait lexical dans le refus d'isoler le mot et la volonté de le ressaisir dans la totalité de son contexte d'où il tire son sens et ses valeurs.

Autre point assuré: homme est responsable de sà parole, il n'y à pas de «dictum» sans «dicens». Il faut donc prêter attention aux relations «dictum»- «dicens» et pas seulement à ce qui est dit ou à ce dont on parle.

On admet depuis Whorf28 que tout comportement d'un organisme vivant est fonction d'une certaine orientation dans le monge. Que la langue d'une société humaine donnée qui pense et parle dans cette langue est I'organisateur de son expérience. Que de ce fait elle façonne son monde et sà réalité sociale (Sapir29 ). Le langage est donc à la fois I'expression (l'instrument de communication), le dépôt et le support (la forme) de la pensée (limitée par la langue qui lui sert, pour employer une métaphore de couture, de patron). Le systéme linguistique influence donc la perception, le langage et le comportement.

Socialement formée sous I'influence de I'environnement (social, économique, politique ... ), la langue est un produit qui influence à son tour la maniere dont la société perçoit et conçoit le monde environnant. En tant que produit social et représentation de la réalité environnante (physique et sociale), le langage est donc aussi un façonneur de comportement puisqu'il offre une certaine vision du monde.

La véritable fonction de notre étude linguistique doit donc consister à étudier la participation du langage à cette création des représentations (Humboldt). Il faudra donc déterminer à quelle structure sociale pent répondre une structure linguistique donnée et comment les changements de structure sociale se traduisent par des changements de structure linguistique.

Mais si le contenu du langage est étroitement lié aux moeurs et à la culture, il n'est pas pour autant un calque de la réalité (Martinet30). Le langage est une organisation particuliére des données de I'expérience et le vocabulaire refléte plus ou moins fidàement les moeurs dont il peut servir les fins. Il ne faut donc pas commettre I'erreur de confondre une langue avec son vocabulaire, même si le lexique manifeste de la façon la plus évidente la relation avec tous les aspects de la civilisation31 . La langue n'est pas un dictionnaire. Elle n'est pas une nomenclature (Tullio de Mauro32 ).

En outre, il faut considérer que tout sujet possede sa propre norme Iinguistique, ses tolérances, ses habitudes, et qu'il est inscrit dans un jeu de différences sociales. Les réalités de I'intercompréhension  font également apparaître que le même individu peut appartenir à plusieurs communautés linguistiques33. Enfin, les situations Iinguistiques réelles manifestent aussi que tous les individus ne parlent pas une langue en tous points semblable.

Si donc la structure d'une langue est bien en rapport avec la mentalité, les institutions et la civilisation matérielle des hommes qui la parlent34, il faut bien considérer que le langage est une institution sociale d'un type particulier. On ne peut affirmer qu'il est totalement déterminé par les influences sociales et économiques.

Tout en étant impliquée dans un processus historique, la langue n'est pas un miroir passif mais une force qui opere activement pour la constitution et la transmission de I'expérience de l'homme34 . Elle est le reflet du monde et de I'histoire, indirectement, en tant qu'elle est le reflet de I'activité Iinguistique, elle-meme reflet du monde. «la réalité façonne le langage qui à son tour façonne notre image de cette réalité» (Schaff35 ).

La complexité de ces considérations n'échappa pas à A. Sommerfelt qui publia en 1938 un essai de «linguistique sociologique» mettant en valeur le rôle social de la langue déjà souligné par Meillet en 190636 . Considérant que «les mots sont le moyen par lequel la société agit sur le monde qui I'entoure et conçoit ce monde». Sommerfelt invite à les étudier à la lumiére de I'organisation sociale. Il établit ainsi une corràation entre le type linguistique de la société aranta et la civilisation de cette société et indique que c'est la structure de la société qui décide de la présence ou de I'absence de certaines catégories linguistiques, et non les capacités supposées des homnes.

Sommerfelt pose surtout deux jalons d'importance. Le premier, c'est qu'il va de soi que pour étudier une société donnée, iI ne suffit pas seulement d'examiner la fonction de la langue dans cette société, car une société est une totalité dont tous les àéments constitutifs se tiennent qu'il faut étudier globalement. Secondement, si I'on veut conclure d'une structure sociale à une pensée, et surtout à une mentalité, il est nécessaire de s'armer de prudence.

Toutefois, Sommerfelt n'établit pas de structure lingúistique mais seulement un type. Bien qu'avec un plan d'ensemble déductif, il travaille sur des «à priori» plus ou moins dissimulés. Peut-être est-il influencé en cela par une analyse menée sept ans auparavant (et/mais à laquelle il ne fait jamais allusion) par Jost Trier qui dàimite en 1931 des «champs Iinguistiques». Que recouvre ce terme et quel intérêt présente-t-il pour nous aujourd'hui?

Bien qu'il soit à I'origine de la grande révolution de la sémantique moderne, Jost Trier eut des prédécesseurs pour appliquer plus ou moins confusément I'idée de structure au plan de contenu (Heyse, Meyer, Weisgerber, Saussure37), En fait, bien que la paternité du terme de «champ sémantique» lui soit attribuée, elle revient à Ipsen dés 192438En établissant I'existence de sphéres conceptuelles, Trier n'à jamais utilisé que la qualification de «champ linguistique» («Sprachliche Felder») dans Der Deutsche Wortschatz im Sinnbezirk des Verstandes39.

Dans cet ouvrage, Trier se propose d'étudier des mots se rapportant à un secteur conceptuel déterminé, celui de I'entendement, désireux de montrer qu'ils constituent un ensemble structuré à I'intérieur duquel chacun est sous la dépendance des autres. L'idée de départ est donc, comme chez Weisgerber, une interdépendance des mots et des concepts et I'existence d'une sorte de systéme sémantique conditionnant les significations des différents mots entrant dans la composition de plus grandes unités conceptuelles. La théorie du champ analyse donc le conditionnement de la perception du monde par différents systémes Iinguistiques. Les analyses partent de I'idée suivante: étant en présence d'une classe définie d'objets (choses matérielles, rapports ... ), nous la voyons d'une maniére ou d'une autre en fonction du systéme de classification que nous fournit la langue dans laquelle nous pensons.

Il serait trop long de donner ici la parole a Trier40 . Résumons en disant que selon lui, nos concepts recouvrent sans laisser de vide ni se chevaucher tout le champ du réel, comme les piéces d'un puzzle. Ainsi, tout changement dans les limites d'un concept entraine une modification des concepts voisins, et par contrecoup des mots qui les expriment. Son analyse s'intéresse au vocabulaire allemand de la connaissance aux Xllléme et XIVéme siécles.

 

      Il constate qu'au début du Xllléme siécle, ce vocabulaire repose sur trois mots:  Wîsheit (la sagesse), Kunst (I'art) et List (I'artifice). Or, il constate également que si Wîsheit et Kunst sont toujours présents au siécle suivant, un nouveau mot, Wizzen, apparait. En 1200, Kunst renvoie aux sphéres courtoises du savoir et représente I'ensemble des connaissances du chevalier. La connaissance du code de I'honneur courtois, de la maniére de combattre en tournoi, de I'attitude envers les femmes, de I'art de poésie, des arts libéraux, prend le nom de Künste. List représente I'ensemble des connaissances du roturier et Liste renvoie donc à la médecine, à I'astronomie, aux métiers qui traduisent I'habilité technique de I'artisan. La différenciation est donc question d'attitude envers le savoir, de couches sociales comme on le constate lorsqu'il s'agit de définir I'endurance, I'adresse ou la maîtrise. Chez le noble, elles seront Kinst. List chez le vilain. Wîsheit s'oppose à Kunst et à List en les recouvrant. C'est la connaissance spirituelle considérée à la fois du point de vue moral, esthétique et religieux. Elle renvoie à la «sapientia personnalis» et à la «sapientia dei».

 

      Les trois mots reflétent donc une situation et une vision du monde particuliéres. On note un ordre de la connaissance double, qui oppose une société courtoise (Kunst) et non-courtoise (List). Ce monde du Xllléme siécle est donc divisé par deux façons d'appréhender la réalité sociale et économique mais il trouve son unité dans le monde spirituel. Il n'à qu'une seule attitude devant la sagesse morale et la connaissance divine qui recouvrent aussi bien I'action que la science matérielle.

Un siécle plus tard, en 1300, le schéma est radicalement différent. Wizzen (le savoir) s'est substitué à List, mais le contenu des trois termes qui composent ce nouveau systéme est tout à fait autre. Kunst renvoie alors aux sphéres les plus élevées de la connaissance en général. Wizzen s'applique au savoir globalement et plus particuliérement à la capacité et à I'habilité technique, mais sans connotation sociale. La connaissance et les capacités de I'individu peuvent être désormais envisagées indépendemment de sa couche sociale. Wîsheit cesse de recouvir deux domaines car le savoir matériel et la sagesse spirituelle différent désormais dans leur essence. C'est la marque de la désintégration de I'unité du Xllléme siécle et de sa catholicité de la connaissance.

Cette synthése séduit par I'application que I'on pourrait en faire au Moyen Age espagnol. Le champ sémantique de la connaissance montrerait une structuration selon deux points de vue: celui du fonctionnement de I'espirt tel qu'on le concevait au Xllléme siécle; celui de I'usage social des facultés de I'esprit.

Cette analyse permet à Trier d'affirmer que les mots forment un champ linguistique qui recouvre un champ conceptuel et qu'ils expriment une vision du monde qu'ils permettent de reconstituer. Son concept de champ linguistique ainsi analysé posséde deux caractéristiques principales: d'une part, les unités qui le composent couvrent entiérement la sphére conceptuelle correspondante sans laisser de vides; d'autre part, chaque unité ne peut faire partie que d'un seul champ car ils ne se superposent jamais. Les champs de Trier son juxtaposés et ils se bornent mutuellement, recouvrant I'intégralité de la réalité. Une sphére conceptuelle donnée est organisée linguistiquement en une série de termes de sorte que chacun délimité ses voisins et est à son tour délimité par eux. L'image utilisée est celle de la mosaique de mots («Wortdecke») que nous avons déjà comparée au puzzle.

Le champ de Trier est ainsi un ensemble de mots, non-apparentés étymologiquement pour la plupart, ni reliés non plus entre eux par des associations psychologiques individuelles, arbitraires, contingentes, qui placés côte àcôte comme les pierres irréguliéres d'une mosaique recouvrent exactement tout un domaine bien délimité de significations constitué soit traditionnellement soit scientifiquement par I'expérience humaine41. Ainsi, iI existe selon Trier des champs conceptuels dans la pensée, sorte de mosaiques de notions associées qui recouvrent un domaine que I'expérience humaine isole et constitue en unité conceptuelle. Acôté existent des champs lexicaux, formés par I'ensemble des mots qui recouvrent, en les morcelant, les champs conceptuels correspondants. Le tout s'établit donc dans un jeu de différenciations et d'oppositions et dans I'articulation de tous les champs lexicaux restreints.

Il est clair que la notion de champ sémantique apporte beaucoup par I'analyse des rapports et des différences entre les termes de la langue. C'est sans doute la raison pour laquelle elle à été reprise sous des formes plus ou moins nuancées42Nous lui préférons le terme de réseau, précisément pour traduire une complexité qui n'apparait peut-être pas assez dans la démonstratión de Trier. Dés I'instant où l'on se pose le probléme de distinguer ce qui est le fait de la structure Iinguistique et ce qui est le fait de la structure socio-culturelle43, il ne convient pas seulement de faire de la linguistique interne. L'enquête sémasiologique, qui s'intéresse au point de vue de celui qui écoute et va du mot à la pensée, doit compléter une enquête onomasíologique, qui elle releve d'une théorie des désignations (et non plus des significations) et examine le point de vue de celui qui parle en allant de la pensée au mot 44.

Mais nous n'avons la qu'un squelette, qui n'envisage guére les relátions humaines, historiques, culturelles, sociologiques, économiques ... Qui plus est, les vues de Trier doivent être sérieusement corrigées avant toute utilisation. En effet, en soutenant sà théorie de le mosaique, il ne rend pas compte du fait que la langue ne divise pas le monde concret et spirituel avec une précision mathématique45.

A l'origine de cette erreur de jugement, I'etablissement par Trier du concept d'entendement ,«à priori». De la sorte, Trier s'est interdit de trouver les semes et les trous du systeme. Considérant que la définition constitue la seule forme complete d'analyse sémantique, Trier à construit ses analyses linguistiques sur I'existence reconnue de champs conceptuels qui sous-tendent des champs lexicaux dont ils fournissant les cadres. Construction sur I'existence antérieure, acceptée «à priori», d'une autre structure (conceptuelle ou notionnelle) existant indépendemment du langage dans les contenus du monde. La pratique de Trier qui détermine d'avance le champ notionnel ne permet pas de regrouper rigoureusement des termes. Sà procédure empirique, s'appuyant sur une logique nalve des définitions des signifiés issue des subtiles correlations entre logique et langage, est en quelque sorte un «remake» de la vieille notion de famille de mots.

L'idée d'un champ sémantique homogéne sans vides ni chevauchements ne saurait tenir des que I'on sort des notions intellectuelles analysées plus haut pour aborder celles du monde physique et matériel. En fait, les trous laissent dans la vague certains secteurs conceptuels et il y a des superpositions plus ou moins partielles46. Les mêmes pierres de la mosaique supposée peuvent figurer dans plusieurs mosaïques. Le champ conceptuel peut parlaitement ne pas être totalement recouvert par le champ lexical (par exemple lorsque I'analyse lexicale ne recouvre pas I'analyse sémantique). Enfin, le lexique n'est pas un tas de mots (Mounin47).

D'autres critiques son également nécessaires48. En particulier, il faut considérer davantage que ne I'a fait Trier tout le contexte dans lequel un mot s'insére ou peut s'insérer49On doit aussi considérer le contexte de la réalité culturelle, le contexte de la situation et le contexte du discours. Tout suggére que les mots ne sont pas des unités isolées. En outre, il faut admettre que la structure du vocabulaire est plus ou moins lâche et inégale selon les domaines50. Les champs lexicaux structurés son finalement pas réductibles à une description exhaustive et ordonnée par les mâmes méthodes que les moyens grammaticaux et phonologiques d'une langue51. Peut-être faut-il même convenir que le lexique résiste (et résisteral à toute structuration complete dans la mesure oú il est constitué d'inventaires illimités. Mais cette constatation ne doit pas être un constat d'échec. Au contraire, elle implique la nécessité d'effectuer un va-et-vient de la linguistique au monde non-linguistique, et inversement52.

A travers les résultats obtenus depuis Trier à partir de son héritage53 , force est de constater qu'il y a toujours une part de procédé intuitif dans le démarche utilisée. Les tentatives actuelles conduisent, soit vers I'analyse du contenu idéologique des formes (Barthes), soit vers la structure lexicologique complexe (Matoré).

Je n'examinerai ici que cette derniére, que Matoré explore par le biais des «champs notionnels»54, la notion vient pour partie des théories de Sperber sur les spheres de pensée, zones de regroupements de thémes obsessionnels plus ou moins diffus, non fixés, inconscients ou refoulés sous I'action du milieu, des activités ou des circonstances. Elle est sans doute également redevable aux «carrefours linguistiques» de Bel in-Milleron qui s'intéressaient aux convergences de Iiaisons formant séries, aux agrégats de déterminations et d'allégations de natures multiples (spirituelle, affective ... ). Elle est assez proche des champs morpho-sémantiques de Guiraud, complexes de relations de formes et de sens formés par un ensemble de mots la cohérence de l'ensemble justifie I'identité et la fonction de chacun des mots55.

L'etude de Matoré s'en distingue en ce qu'elle est para-Iinguistique. En partant de I'étude du vocabulaire, il essaie d'expliquer une société. La lexicologie apparait ainsi comme une discipline sociologique qui utilise le matéril linguistique et examine le substrat matériel, économique, technique, politique du lexique. Tandis que Trier s'intéressait à la vie spirituelle et morale, Matoré se penche davantage sur la socialité.

 

      Pour ce faire, ir délimite les générations linguistiques en coupes qui sont autant d'états de langue dans lesquels il releve la présence de mots-témoins (ou mots-clés), centres de champs notionnels, ou de néologismes qui marquent I'apparition de notions nouvelles. Il s'efforce à partir de la d'établir, de délimiter et d'étudier les champs notionnels qui caractérisent une société. En intégrant ainsi la linguistique à I'histoire et à la sociologie, Matoré élabore une lexicologie sociale à partir du postulat selon lequel tout passe par le langage.

Or, la lexicologie ne présente qu'un seul point de vue, celui dont rend compte le vocabulaire et non pas le discours, négligeant ainsi I'examen des conditions de sa production. Peut-on de ce fait considérer le vocabulaire des hommes du passé comme la clé de leurs comportements? Question d'autant plus délicate à trancher qu'il convient de surmonter le probleme de la compréhension du texte médiéval (comme le montre I'étude de K.-J. Hollyman sur le développement du vocabulaire féodal en France pendant le haut Moyen Age, Geneve, Droz, 1957). Au moins faut-il, comme Matoré, ne considérer la lexicologie54 que comme un «essai d'interprétation» pour rendre compte totalement d'états de société, et donc accepter que I'approche lexicologique, qui entend étudier la langue dans son milieu, le mot dans ses emplois, fonctionne à partir des acquits de la connaissance historique du monde féodal.

Lorsqu'il considere la vocabulaire et la civilisation française des origines à 1500, G. Matoré rencontre pour principale difficulté de se limiter devant une aussi vaste matiere. Il  la présente de ce fait en deux mouvements, envisageant successivement l'Ancien et le Moyen Français. Passés les problemes qui affectent la langue (substrat, latin vulgaire, superstrat germanique) et les textes en lague romane avec leurs questions de datation, I'áuteur envisague le vocabulaire et ses caracteres: emprunts, composition, préfixation, suffixation, abondance, polysémie, synonymie, homogénéité, brieveté ...

L'analyse doit être répartie selon la masse documentaire disponible, sachant refuser certaines approches de détail pour exposer les éléments nouveaux. Il convient d'envisager d'abord les manifestations de la religiosité, foi des laïcs et religion des clercs se mêlant aux phénomenes non-orthodoxes, aux païens et aux juifs, offrant du monde clérical une vision interne. Sans doute est-ce la meilleure maniere de cerner les productions de la «clerecia» et, par contagion, celles qui lui son exténeures.

Apres avoir rapidement traité le symbolisme, I'analyse de G. Matoré aborde la vocabulaire de la vie mentale: cosmologie, pensée, sens, mémoire, science, sagesse, vertu, étude, le tout dûment couronné par l'Ordre. Frères jumeaux du destin, le temps et I'espace reçoivent des commentaires détaillés, comme nous I'avons déjà fait en ce qui concerne le seul Berceo1. Le temps humain est multiple, sacré et profane, et mouvant, bien qu'orienté du fond des âges et par le calendrier vers la fin des temps. L'espace également est sacré et profane, statique et dynamique, composé des éléments fondamentaux de la nature.

Dans ce contexte, notre propre analyse devra observer comment le corps humain, plus ou moins solidaire de I'âme, peut prendre des attitudes contrastées: action-repos, chaud-froid, lumiere-ombre ... , rythmées par la santé et la vie physiologique. Contrastes aussi dans les sentiments, intenses et instables, violents et tendres, extériorisation de I'affontement manichéen des péchés et des vertus.

G. Matoré consacre un chapitre particulier -et nous devrons sans doute I'imiter sur ce point- aux sensations (sentir, voir, ouïr, toucher, humer, goûter), achevant ainsi d'esquisser la silhouette de I'homme pris dans la hiérarchie de la structure féodale, avec les guerres et ses armes, le droit et la justice, avec aussi les ressorts de la vie économique, I'argent et le travail. De façon similaire ébaucherons-nous la toile d'une vie sociale où, courtoisie peut-être et aventure sûrement se mêlent dans la beauté et la laideur.

Les aspects de la quotidienneté, pour être pesants, recevront une attention toute particuliére. Il nous faudra examiner comment la famille fait face aux questions de I'alimentation, à celles de I'habillement et du logement. Tout le monde de la maison et de ses accesoires contraste, au premier regard, avec celui des divertissements, de la fête et des jeux qui se développe dans une civilisation qui à progressivement pris la mesure du monde animal, végétal et minéral.

On perçoit ainsi mieux I'agencement de la matiere de notre analyse, déjà partiellement menée pour le seul compte de Berceo et qui, élargie à notre nouveau corpus, ne peut que s'enrichir par I'observation des évolutions, que ce soit mentales, psycholo­giques, sensorielles, conceptuelles ou matérielles. Restera à tirer les conclusions de ces évolutions d'importance, non seulement en signalnt les sources et les procédés d'enrichissement du langage mais aussi et surtout en notant les innovations.

On les trouvera essentiellement dans la construction d'attitudes de plus en plus scientifiques qui affectent les domaines tant moral que juridique ou médical. On les trouvera aussi dans la progressive bi-polarisation de ce monde s'affirme le bourgeois en face du chevalier, une situation et une institution. On les trouvera enfin et par voie de conséquence dans les movements esthétiques, la mode et leurs expressions

Devant la diversité des théories et les critiques que chacune appelle, toute tentative risquerait de se trouver bloquée si I'on n'admet pas que, dans le difficile chemin du connu vers I'inconnu, la tentative pratique est préférable à I'inaction. Partant donc de la constatation qu'il est parfois possible et parfois impossible de trouver, selon les cas, des procédures d'investigation satisfaisantes, je pense qu'il convient, si I'on veut cerner la spiritualité et la socialité du «mester de clerecía», d'adopter une sorte d'eclectisme méthodologique, une méthodologie multiforme, moyen plutôt qu'inconvénient dans l'approche des champs expérimentaux.

Au lieu de poser que le linguistique dépend ou ne dépend pas du social, ce qui est en fait I'hypothese sous-jacente à vérifier, il va s'agir dans notre examen de mettre en rapport description socio-historique et description linguistique, faisant donc appel à diverses compétences pour sonder une société par, avec et dans ses domaines para-linguistiques, et aussi dans sa vie spirituelle et morale. Nous prendrons garde à nous entourer de critéres solides tels que I'exhaustivité, la représentativié (ou objectivité), la pertinence et I'homogénéité dans I'examen des réseaux situationnels, institutionnels et stylistiques. Considérant que I'emploi des unités lexicales résulte du choix des donateurs des textes parmi un certain nombre de possibilités, nous tenterons de cerner I'organisation de la construction des énoncés.

Ainsi, sans solution-miracle, mais sans en attendre une en se condamnant à ne rien entreprendre, une analyse cinématique et notionnelle du langage du «mester de clerecía» doit permettre de suivre, à travers la spiritualité et la socialité, I'évolution des mentalités des Xllléme et XIVeme siécles. En particulier, il doit être possible de voir comment s'opérent les échanges sensibles depuis le Xléme siécle, entre le clerc et le chevalier. Ces deux types de culture, qui s'opposérent longtemps dans leurs principes et dans leurs idéaux, ont tendance à se rapprocher sous I'effet d'une certaine désacrealisation mais aussi par la christianisation de la chevalerie. la religion, qui récupere I'amour courtois dans la dévotion mariale et I'aspiration vital e dans I'idée de salut, infiltre en effet I'ensemble de la géographie sociale. même si I'esprit laïc ou chevaleresque contagionne parfois les clercs, le christianisme reste pour I'essentiel un exemple qui distille un systeme idéologique sous forme d'une théorie du pouvoir, diffusée par un savoir. Dans ce filet viennent se prendre les groupes sociaux. A quoi sert ce pouvoir? Comment fonctionnent ses réseaux? Que maitrisent-ils?

Il importe donc de se demander quels sont les ressorts idéologiques qui soustendent I'usage (et quel[s] usage [s]?) du savoir? Comment ce savoir est utilisé par un pouvoir pour acoroître ce même povoir (enseigner et vúlgariser, informer pour sauver)? Dans quelle mesure un auteur est I'instrument actif d'un pouvoir ou le forgeron inconscient ou involontaire des mentalités (dans quelle mesure il est davantage producteur ou produit de son siecle?)? Au-delá du quadrillage du terrítoire par des maillages, quels sont les ehamps du pouvoir irrigués et quelles sont les combinaisons ou les concurrences qui se produisent dans certaines zones?

On ne peut espérer apporter que des réponses partielles á ces questions tant I'opacité du vécu varie sans jamais atteindre la transparence. L'écart est toujours tel entre les formes et les contenus sociaux qu'elles ne sauraient les donner dans leur intégralité et leur complexité. Il suffit pour I'heure d'avoir tracé un chemin pour oser s'aventurer dans le mystérieux «ambiente» médiéval.

 

 

 

 

 

 

NOTAS

1 Cf. mathése sur Le vocabulaire de Gonzalo de Berceo. Université Lyon II, 1978. Analyse détaillée du temps et de I'espace in Les Langues neo-Iatines, n° 227 (1978). pp. 5-33.
2 Cf. G. DUBY, «Histoire des mentalités», in
L'Histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, 1961. Un essai d'approche du contexte artistique dans mon article «les ivoires de San Millán de la Cogolla» in Archéologia, nº 135 (1979), pp. 12-17.
3 Manuel Alvar Ezquerra, «Hacia el análisis automatizado del léxico de Gonzalo de Berceo», in Berceo, 94-95, 1978, pp. 57-64. Voir aussi les références des notes 1 et 6 de ce même article.
4 Parmi la masse de documents traités à Madison par les équipes de Lloyd Kasten, John Nitti et Jean Anderson, on peut retenir à titre d'exemple tout à fait intéressant la publication en 1978 des Concordances and Texts of de Royal Scriptorium Manuscripts of Alfonso X, el Sabio. ce travail augure bien du Dictionary of Old Spanish Language, actuellement en préparation.
5 Brian Dutton se propose, ayant passé sur ordinateur les données de ses éditions critiques des oeuvres de Berceo (Támesis Books, Londres, depuis 1967), de composer une sorte d'index commenté dont la publication ne devrait plus tarder.
6 René Pellen vient de publier un Dictionnaire lemmatisé des formes et des références du «Poemà de Mio Cid», volume 1 des Annexes des Cahiers de Linguistique Hispanique Médiévale (C.L.H.M.), Université Paris XIII, 1979. On trouvera des analyses détaillées dans les cinq premiers numéros des C.L.H.M. (1 par an depuis 1976).
7
Je fais allusion ici à I'exemplaire ouvrage de Manuel Alvar, Libro de Apolonio, estudios, ediciones y concordancias, Madrid, Castalia, 1976, qui fait suite à celui consacré à la Vida de Santa Maria Egipcíaca. Estudios, vocabulario, edición de los textos de 1970-72.
8 Cf. Jean Philippe Genet, «L'historien et I'ordinateur», in Historiens et Géographes, París, 1978, nº 270, pp. 125-142.
9 Pour des analyses et des présentations illustrées d'exemples, cf. Regine Robin,
Histoire et Linguistique, Paris, A. Colin, 1973.
10 Plutôt que de situer le début du Moyen Age en 395, 476, 675 ou 711 et d'en marquer le terme en 1453-54, 1492 ou  1500, il conviendrait d'admettre que des bornes séches et isochroniques pour tous les domaines ne sont pas indispensables et qu'il est péférable de chercher des définitions politiques, sociales, économiques, culturelles, linguistiques.
11 Joan Corominas,
Diccionario crítico-etimológico de la lengua castellana, Berne, Francke, 1954-57, 4 vols.
12 On touvera un écho de ces mouvements, par exemple dans les travaux de Maria del Carmen Carlé, la synthése la plus commode ayant été publiée à Buenos Aires en 1968 sous le titre Del concejo medieval castellano-leonés. On peut également consulter, de Reyna Pastor de Togneri, Conflictos sociales y estancamiento en la España medieval, Madrid, Ariel, 1974.
13
Consulter pour cette théologie du pauvre I'étude sociale de Michel Mollat, Les pauvres au Moyen Age, París, Hachette, 1978.
14 Francisco López Estrada, Introducción a la literatura medieval española, Madrid, Gredos, 1974, p. 209. J'y reviens dans «Le mester de clerecía: Spíritualíté et socíabilité», in Les langues néo-Iatines, 1981.
15 Cf. Lucíen Clare et Jean-Claude Chevalíer, Le Moyen Age espagnol, Paris, A. Colin, 1972.
16 Cf. Georges Duby, Le temps des cathédrales, Paris, Gallimard, 1976 et Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978.
17 Comme je I'ai signalé dans un article intitulé «Approche de la sociabilité de Gonzalo de Berceo: la marginalité», in Les langues néo-Iatines, n° 231 (1979), pp. 13-22.
18 C'est le cas dans la vision bercéenne de la sociabilité qui privilégie les «bonas gentes», qui savent rester
á leur place dans I'ordre social sans se montrer, ni en actes ni en paroles, «desvergonzados». Cf. (1).
19 Faut-il rappeler les mots de Berceo qui écrit «en romaz que la pueda saber toda la gent» une histoire dans laquelle la destinée est une destination et une condition.
20 Pour I'analyse de cette adaptation en ce qui concerne San Millán de la Cogolla, voir mon article «San Millán de la Coqolla, le temps du monastere ou l'imaginaire de Gonzalo de Berceo», in Cahiers de Civilisation Médiévale, Poitiers, t. XXIV, à paraître en 1981.
21 Pour cette question, je renvoie à mon article, «El tema de la religión popular: el caso de Berceo», in Les langues néo-Iatines, 1981.
22
Cf. (12). Voir aussi S. Moreta, Malhechores feudales. Violencia, antagonismo y alianzas de clases en Castilla. Siglos XIII-XIV, 1979.
23 Pour ce qui touche à la climatologie, bonne synthese bien que centrée sur la XIVeme siècle dans une communication de Angus Mackay intitulée «History of the Climate of Castille» au récent Congres «Climate and History» de Norwich.
24 Teófilo F. Ruiz étudie cet aspect dans un récent article «Expansion et changement: la conquête de Séville et la société castillane (1248-1350)», in Annales, E.S.C., n° 3 (mai-juin 1979). pp. 548-565.
25 André Godin. Spiritualité francaiscaine en Flandres au XVleme siècle. L 'homéliaire de Jean Vitrier, texte, étude thématique et sémantique, Genéve, Droz, 1971.

A la recherche d'un paysage mental, I'auteur s'intéresse aux différents niveaux de culture par le moyen d'une analyse thématique qui se veut éloignée de tout cloisonnement et de tout arbitraire. L'étude est fondée sur une quantification rigoureuse qui produit une grille sémantique. Si I'on objecte que le systeme de la cueillette impressioniste dans le matériau d'analyse n'offre peut-être pas toutes les garanties souhaitables, I'auteur de ce travail remarquable à beau jeu de rétorquer que son découpage s'est constitué de lui-même par une lente inprégnation textuelle.
26 Georges Matoré prépare actuellement pour la collectíon «L'ordre des mots» des éditions du Robert un ouvrage intitulé Le langage et les moeurs du Moyen Age. On trouvera plus loin une esquisse de son approche d'aprés les rensiegnements qu'il à bien voulu me communiquer.
27 Rappelons briévement les contributions de M. Bréal, Essai de sémantique. Science des significations, Paris, Hachette, 1904 pour la 3e éd.; A. Meillet, Linguistique historique et linguistique générale, París, Champion, 1926 (1er vol) et Paris, Klincksieck, 1938 (pour le second); S. Ullmann, Semantica, Madrid, Aguilar, 1967; P. Guiraud, la sémantique, París, P.U.F., 1966; B. Malmberg, Les nouve/les tendances de la linguistique, París, P.U.F., 1966.
28 B.L. Whorf, Language, thought and reality, New York, Wiley and sons - Londres, Chapman and Hall, 1958.
29 E. Sapir, Linguistique, Paris, 1968.
30 A. Martinet. Eléments de linguistique générale. Paris, A. Colin, 1966 (Ge éd.).
31
C'est ce que je signalais dans (1) en écrivant que celui qui parle n'est pas forcément celui qui écrit et celui qui écrit n'est pas forcément celui qui pense.
32 Tullio de Mauro, Introduction à la sémantique, Bari, Laterza. 1965.
33 Par exemple Berceo et les proverbes «populaires»
34 Cf.
J.-B. Marcellesi et B. Gardin, Introduction à la socio-linguistique, la linguistique sociale, Paris, Larousse, 1974.
35 A. Sehaff.
Introducción a la semántica, Méjico. 1966
36 Outre Meillet, déjà  cité (27). Alf Sommerfelt, la langue et la société. Caractéres sociaux d'une langue de type archaîque, Oslo, Aschehoug, 1938.
37 K.W.L. Heyse,
System der Sprachwissenschaft, 1856; R.M. Meyer, Bedeutungssysteme. Zeitschrift für wergleichende Sprachforschung, 1910 (Analyse les «systémes sémantiques» dans les grades militaires); L. Weisgerber, Vom Weltbild der deutschen Sprache (analyse les noms de couleur); F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1966 (rééd. de 1915), pp. 212 et suiv.: «un terme donné est au centre d'une constellation, le point où convergent d'autres termes coordonnés dont la somme est indéfinie».
38 Terme utilisé dans Der alte Orient und die Indogermanen. 39 Heidelberg, 1931. Rééd., 1973.
40 Jost Trier, «Das Sprachliche Feld», in Neve Jahrbucher Für Wissenschaft u. Bildung, 1934.
41 Si I'on excepte I'entendement, on peut donner comme exemples le bétail, les céréales.
42 Le «champ Iinguistique» de Trier est devenu le champ sémantique, «the area of meaning», le champ notionnel (Matoré), le champ lexicologique ou champ morpho-sémantique (Guiraud), pour ne citer que les reprises les plus marquantes.
43 Cf. aussi E. Coseriu (Wortfeld) avec l'idée du champ de mots, in
Teoría de lenguaje y lingüistica general, Madrid, Gredos, 1962, pp. 282-323.
44 Cf. les positions de Klaus Heger et de Kurt Baldinger, exposées par ce dernier in Teoría semántica. Hacia unà semántica moderna, Madrid, Alcala, 1970.
45 Point justement soulignée par W.V. Wartburg dans ses Problemas y métodos de la la lingüística, Madrid, 1951, pp. 263 et suiv.
46 Cf. «Il n'y à jamais de coincidence entre le champ notionnel et celui du lexique», B. Pottier in «Vers une sémantique moderne», in Travaux de Linguistique et de Littérature, Strasbourg, 1964. Ce qui peut être également dit en ces termes: «Le champ conceptuel ne peut pas être entiérement recouvert par des dénominations lexicalisées», G. Mounin, in «la dénomination des animaux domestiques: un champ sémantique», in la Linguistique, Paris, 1965, pp. 31-54.
47 G. Mounin écrit dans un «essai sur la structuration du lexique de I'habitation», in Cahiers de Lexicologie, 1965, VI, I, pp. 9-24: «Le lexique total d'une langue ne forme pas la mosaique de termes dont rêvait Jost Trier, la surface lexicale recouvr(ir)ait parfaitement la surface conceptuelle exprimée par une langue».
48 Barmi elles, celle de Suzanne Ohmann dans «Theories of
the «Linguistic Field», in Word, 1953, 9, pp. 123-134. Plus nuancée, celle Els Oksaar dans Semantische Studien im Sinnbereich der Schnelligkeit, Stockholm, 1958. Ces critiques soulignent que Trier ignore I'importance des changements phonétiques et sémantiques qui affectent directement la langue. De plus, il oublie que certains champs sémantiques sont directement liés à la perception du monde indépendemment de I'organisation conceptuelle.
49  Point souligné par I'ethnologue Bronislav Malinowski dans I'article «Culture» de l'Encyclopedia of the Social Sciences, IV, 1935.
50
C'est ce que montrent A. Martinet (30), U. Weinreich (Languages in contact, New York, 1953) et H. Vogt («Contacts of Languages», in Word, 1954, nº.2-3, pp. 365-374).
51 C'est le point de vue de Ullmann. En outre, les champs, réseaux de relations non-coordonnées, ont une structuration conditionnée par des facteurs non-Iinguistiques. Enfin, il y a des différences entre les niveaux dans I'usage du lexique selon le matériel verbal plus ou moins important à la disposition du locuteur. Sans compter les différences selon la forme, la matiére ou la fonction des discours.
52 Mieux dit par G. Mounin dans ses Problemes throriques de la traduction, Paris, Gallimard, 1963, p. 138: «de la langue au monde et du monde à la langue».
53 Les tentatives les plus marquantes sont celles de Martinet (monémes), de Hjemslev et de Prieto. Mais l'analyse formelle pure s'avére incapable d'analyser les unités linguistiques, voire les unités de significations ou atomes sémantiques, fussent-ils constitués en systémes qui montrent leurs interconnexions et interdépendances. (cf. les travaux de Zinsli, Guiraud (sur les champs morpho-sémantiques entre 1965 et 1962 dans le Bulletin de la Société Linguistique de Paris), Quemada (Le commerce amoureux dans les romans mondains)... Peut-être faut-il repartir du «champ associatif» de Ch. Bally (Français moderne, 1940, pp. 193-306).
54 Georges Matoré, la méthode en lexicologie, Paris, Oidier, 1953. Pour une utilisation concrete, du même auteur, Le vocabulaire et la société sous Louis-Philippe.
55 P. Guiraud, «Les champs morpho-sémantiques, critéres externes et critéres internes en étymologie», in Bulletin de la Société Linguistique de Paris, 1956, LII, pp. 265-288. Premier article de la série citée (53) qui examine le champ de «chicane» en 1960.

 

 

LES RESEAUX SEMANTIQUES DE LA SPIRITUALITE
ET DE LA SOCIALlTE DANS LE «MESTER DE CLERECIA»
Alain VARASCHIN

 

ACTAS DE LAS III JORNADAS DE ESTUDIOS BERCEANOS
IER
LOGROÑO 1981

 

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